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(14 septembre 2008, Washington, DC, USA) Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de dîner avec Gary Kebbel, directeur des programmes journalistiques à la fondation Knight. J’ai été frappé au cours de notre conversation de constater à quel point les intérêts de la fondation Knight et les miens se rejoignent en ce qui concerne la puissance du Web. Ce qui m’amène ici ce soir, c’est notre désir partagé de transformer la communauté et de faire en sorte que le Web demeure un instrument d’innovation.

Mais plutôt que de présenter les détails de certaines questions spécifiques dont nous avons discuté avec Gary, « comment le Web peut nous aider à filtrer les bonnes informations et identifier les mauvaises » ou « qu’en est-il de la blogosphère », je voudrais ce soir aborder le Web dans un sens plus large. J’aimerais réfléchir à ce que le Web peut apporter à la société à une échelle que nous n’avons jamais envisagée jusqu’à maintenant. Et j’aimerais pour cela pouvoir compter sur votre aide.

Tout d’abord, permettez-moi de revenir rapidement sur la manière dont le Web est devenu ce qu’il est aujourd’hui et ce que cela laisse présager quant aux prochaines étapes à suivre.

En 1989, j’étais programmeur au CERN, le centre de recherche en physique nucléaire situé près de Genève. Un gigantesque accélérateur, le LEP, avait été mis en service et les travaux sur le nouveau LHC (Large Hadron Collider) commençaient à peine. Le hasard veut que le LHC vient d’être lancé il y a tout juste quelques jours. La pression va maintenant être énorme, car les résultats de nombreuses années de travail vont passer en phase de test. Mais en 1989, il y a eu une légère accalmie entre l’achèvement du LEP et le début des travaux sur le nouveau LHC. C’est pendant cette période de calme que mon chef, Mike Sendall, m’a permis de travailler sur un projet annexe, un système mondial d’hypertexte que j’ai appelé le World Wide Web.

L’élaboration de la technologie, la conception des HTTP, HTML et URL et la création du premier navigateur et du premier serveur m’ont demandé plusieurs mois. Mais l’aspect technique n’était qu’une facette du travail. Le côté social était important. Le Web n’est pas seulement une connexion entre machines, c’est une connexion entre individus. Lorsqu’un lien est créé, c’est une personne qui le crée. Lorsqu’un lien est suivi, c’est une personne qui décide de le suivre. Œuvrer pour la croissance du Web exige de comprendre son côté social et d’en tenir compte.

Par exemple, il nous a fallu 18 mois, à mon collègue Robert Cailliau et à moi-même, pour convaincre les directeurs du CERN de ne pas facturer de royalties pour l’utilisation du Web. Si nous n’avions pas réussi, le Web ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

Plus tard, au début des années 1990, un nouvelle menace a vu le jour lorsque des fournisseurs de logiciels concurrents ont essayé de divisé le Web en îlots incompatibles. J’ai été approché de tous côtés par des personnes qui voulaient travailler ensemble et préserver « Un Web ». Par nature, un lien hypertexte peut potentiellement nous relier à n’importe quoi. Un Web est bien plus intéressant et peut nous apporter bien davantage que plein de petits.

La communauté a fait face à cette menace en acceptant, en 1994, de travailler ensemble au sein d’un organisme de normalisation appelé World Wide Web Consortium ou W3C. W3C est devenu un forum de consensus performant, où diverses parties ont développé quelques-unes des technologies situées au cœur du fonctionnement du Web. Ces technologies, le HTML, le XML, les feuilles de style, pour en citer quelques-unes, ont alimenté une industrie représentant des milliards de dollars et relié les individus comme jamais auparavant.

C’est ainsi qu’aux alentours de 2000, le Web avait été créé, avait tiré profit d’une décision de permettre à chacun de l’utiliser gratuitement, quelques-uns des standards fondamentaux étaient en place et il commençait réellement à prendre son essor.

Avec le temps, nous avons réalisé que la création de standards n’était pas le seul impératif. Le fait de connecter les individus entre eux avait créé de nouveau problèmes concernant le respect de la vie privée, la sécurité, la protection juridique ou autres enjeux sociaux. La popularité des technologies Internet en a fait une cible d’utilisation abusive (spams, phishing et autres). Afin de protéger notre investissement dans le Web et de l’améliorer, nous ne devions pas nous contenter de concevoir le présent, mais aussi d’envisager l’avenir.

Il apparaissait que pour tout le travail intéressant accompli autour du Web, l’étude et la conception du Web lui-même, c’est-à-dire l’humanité connectée, n’étaient pas reconnues comme un objet d’étude. Nous n’avions pas les bons journaux pour publier les résultats des études, ni les bonnes formations. Quelques-uns d’entre nous, au MIT et à l’Université de Southampton au Royaume-Uni, se sont rendus compte que nous devions définir un nouveau domaine, la science du Web, et faire avancer les choses.

Pour cela, nous aurions besoin d’une collaboration entre chercheurs dans des disciplines très variées (incluant l’informatique, les sciences politiques, les mathématiques et la psychologie), dont les perspectives apporteraient une lumière nouvelle sur le Web en tant que système. En 2006, j’ai contribué à la création de la Web Science Research Initiative (WSRI), dont l’objet était de faciliter et de produire les progrès scientifiques fondamentaux nécessaires pour comprendre la conception et l’utilisation futures du World Wide Web. Nous travaillons aujourd’hui avec un nombre croissant de collègues du monde entier afin de développer l’infrastructure pour l’enseignement de ce nouveau domaine, incluant les journaux, conférences et programmes, afin que le Web du futur appuie les valeurs sociales fondamentales que sont la loyauté, le respect de la vie privée et le respect des frontières sociales si essentielles pour connecter les individus.

Mais une fois encore, tout cela ne suffisait pas. Si l’on réfléchit à ce qu’est le Web aujourd’hui et à ce qu’il serait dans nos rêves, nous devons comme toujours tenir compte à la fois de la technologie et des individus. Bien sûr, la technologie du futur doit être plus intelligente et plus puissante. Mais notre éthique ne nous permet pas de faire peser toute notre attention sur le développement technologique, sans écouter aussi les personnes qui n’utilisent pas du tout le Web, ou qui ne pourraient l’utiliser que s’il était différent sur certains aspects. (J’ai lu que 80 % de la population mondiale n’a pas accès au Web.) Le Web a globalement été conçu par le monde développé pour le monde développé. Mais pour nous apporter davantage, à chacun d’entre nous, il doit rassembler beaucoup plus.

Heureusement, nous allons dans cette direction. La science du Web a un objectif : que le Web desserve l’humanité. Les standards du W3C sont conçus pour que le Web reste accessible aux personnes souffrant d’un handicap et ne favorise pas en lui-même une langue donnée, une orientation rédactionnelle ou une culture. Dans le but de garantir que le Web réponde aux besoins d’un plus grand nombre de personnes, W3C a récemment lancé de nouveaux travaux, dans deux directions : le e-gouvernement et le rôle de la technologie mobile dans les économies en développement.

Le rôle de la technologie mobile dans les régions les plus pauvres de la planète mérite une attention particulière. De nombreuses histoires illustrent de quelle manière la technologie mobile peut aider les gens à satisfaire aux besoins les plus fondamentaux en termes de santé, d’alimentation et d’éducation. Mais un nombre de plus en plus important d’histoires préfigure l’innovation, permise par une réduction considérable des coûts et déterminée par des situations qui seraient totalement étrangères à la plupart d’entre nous ce soir. Les systèmes bancaires mobiles et les SMS utilisés pour donner des nouvelles du temps, transmettre le prix des récoltes ou faire une demande en mariage, ne sont qu’un petit nombre d’exemples de la manière dont les populations bénéficiant de ces technologies ont commencé à les utiliser pour combler les manques d’établissements (comme les banques) ou autres infrastructures (comme les routes). Nous devons écouter ces histoires. L’innovation pour les citoyens ordinaires est ce qui fait tout l’intérêt du Web. Une manière de favoriser l’innovation dans les populations mal desservies, par exemple, est d’aider ceux qui travaillent déjà étroitement avec les populations locales pour leur fournir des outils informatiques de base et une formation en la matière.

Il y a quelques années, j’ai discuté avec une femme qui était secouriste dans des régions dévastées par la guerre. Je me demandais tout haut si l’accès à Internet devait, sur la liste des priorités, venir après l’eau propre et d’autres ressources essentielles. Elle m’a répondu en me racontant l’histoire d’un jeune homme qui avait appris l’anglais tout seul, grâce à une connexion à Internet, et comment il avait créé sa propre entreprise de traduction. Cette entreprise assurait des revenus à tout le village et lui apportait de nouvelles opportunités de communication. J’ai appris que ce n’est pas à moi d’établir les priorités des autres. Je dois plutôt écouter leurs problèmes et opportunités, puis faire ce que je peux pour les aider.

Mes collègues et moi-même avons identifié trois grands axes, l’innovation technologique, la science du Web et l’application du Web au profit des populations mal desservies, devant, selon nous, orienter la phase suivante du Web. Mais ces axes nécessitent d’importants efforts de collaboration, dans le monde entier, par tous ceux qui souhaitent contribuer à la concrétisation de la vision première du Web : l’humanité connectée grâce à la technologie.

Pour inciter ces communautés à se rassembler, je suis ravi d’annoncer ce soir une nouvelle fondation, la fondation World Wide Web. La fondation a pour mission :

* de promouvoir un Web libre et ouvert,

* de développer ses capacité et robustesse, et

* d’étendre ses avantages à tous les habitants de la planète.

La fondation Web réunira entrepreneurs, innovateurs, établissements d’enseignement et de recherche, gouvernements, ONGs, et experts dans de nombreux domaines pour relever des défis qui, comme le Web, sont d’envergure mondiale. La fondation Web occupe une position unique, capable de tirer des enseignements des résultats de projets pour accélérer l’évolution du Web.

L’enthousiasme de Gary Kebbel et le chaleureux soutien d’Alberto Ibargüen vis-à-vis de cette vision m’ont personnellement convaincu que nous nous sommes engagés sur une voie importante. Je suis reconnaissant, dans ces premières phases, à la fondation Knight qui nous a accordé une généreuse subvention de 200 000 dollars pour nous permettre de mettre le projet sur pied. Grâce au soutien financier et philosophique de la fondation Knight, nous recherchons aujourd’hui des donateurs partageant notre vision du Web du futur.

J’aimerais vous présenter Steve Bratt, qui est avec nous ce soir et occupe la fonction de PDG de la fondation World Wide Web. Steve, entouré d’une petite équipe, coordonne la planification et a déjà accompli un travail considérable qui nous a permis d’en arriver là. Grâce à la générosité de Knight et avec le soutien des premiers donateurs, nous lancerons la fondation au début de l’année 2009, avec l’annonce des premières mesures concrètes vers l’accomplissement de notre mission. Vous pouvez suivre la progression de la fondation sur le site www.webfoundation.org.

Comme je l’ai dit, nous n’en sommes qu’aux balbutiements, à la phase de planification. À quoi ressemblera-t-il si la fondation atteint son but ? Le Web est une plate-forme, un peu comme une feuille de papier. Ce n’est pas lui qui détermine ce que vous en ferez, il stimule votre imagination. Si la fondation accomplit toutes les choses que je peux imaginer aujourd’hui, nous aurons échoué.

Notre réussite se mesurera à la manière dont nous encourageons la créativité de nos enfants. Au fait que les scientifiques du futur auront ou n’auront pas les outils nécessaires pour guérir la maladie. Au fait que les populations des pays développés comme en voie de développement sauront ou ne sauront pas faire la différence entre des informations de santé fiables et des paillettes commerciales. Au fait que la prochaine génération mettra ou ne mettra pas en place des systèmes pour soutenir la démocratie, informer les électeurs et promouvoir le débat responsable.

J’espère que vous vous joindrez à cet effort mondial de connecter l’humanité.

Merci.